Ca va péter.
Monsieur le Premier Ministre,
J’ai 40 ans, je suis assistant de service social. J’exerce ce métier depuis 18 ans, au sein d’une collectivité locale, dans une ville moyenne comme tant d’autres touchées par la crise. Je fais mon travail avec passion, je ne suis pas encore usé par ma fonction.
Monsieur le premier ministre, vous ne réalisez pas. Je pense que, perdu dans vos campagnes électorales, dans vos sondages déshumanisés, entourés de gens riches et bien pensants dans vos hautes sphères, vous ne voyez pas la colère qui monte. Je pense que comme beaucoup, vous la devinez sous le filtre des médias dont vous tirez les ficelles, vous en apercevez des bribes, mise sur le compte de la folie, de la délinquance, pourquoi pas d’influences extérieures a notre beau pays de paix.
La colère monte. J’ai eu peur fut un temps. Vous savez, le travailleur social en première ligne, celui qui reçoit en face de lui les gens dans le désarroi parfois total. Vous êtes vous déjà assis 5 minutes en face de quelqu’un qui avait faim, qui avait surmonté son orgueil pour demander à manger à un fonctionnaire ou à un bénévole associatif ? Je ne parle même pas d’un crédit, d’une promotion, d’un jour de congé… Je parle de pouvoir manger, quand on n’a rien dans le ventre depuis plusieurs jours.
Je vous fais le serment, Monsieur le Premier Ministre, qu’on voit la colère monter dans leurs yeux. On voit l’incompréhension, la rage, l’envie de casser pour exister. De plus en plus. Et oui, j’en ai eu peur un temps. Avec des recours possibles en baisse, quand il faut compter davantage sur l’écoute que sur des solutions concrètes faute de moyens. J’ai eu peur de me faire agresser et c’est déjà arrivé, moi l’interface avec ce système qui rend malade. J’ai eu le temps d’y réfléchir, car on en sort jamais indemne.
Cette semaine, la façon dont sont traités les pseudos agresseurs d’Air France dépasse tout entendement. De retour au travail, je dois me rendre à l’évidence. Tout travailleur social que je suis, tout fonctionnaire « exemplaire » que je me dois d’être, si un jour une foule force la porte pour bruler mon administration pour ce qu’elle représente, je serais avec eux. Si je prends des coups, je saurais pourquoi. Je ne suis pas responsable, mais je saurais qu’au nom de ce que je représente, il y aura une raison. L’état, le pouvoir, le patronat, l’argent. Toutes ces hautes instances qui se moquent éperdument de la misère d’en bas, qui pense la contrôler.
J’ai presque envie de vous dire, Monsieur Le premier Ministre, que j’attends qu’une foule pousse la porte de mon administration pour défoncer mon bureau, me casser la gueule. Ce sera le signe que quelque chose se passe. Que cette colère qui gronde depuis 20 ans depuis les cités HLM a germé, et entraine enfin l’action. Qu’elle détruira sur son sillage les gardes fous dont je fais partie pour aller au cœur du changement.
Vous avez déjà vu un travailleur social qui attend que ça pète dans son bureau ? C’est triste, non ? Je vous le dis, la colère gronde, et vous n’entendez rien.